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Cependant, l’engouement autour du Métavers montre une nouvelle fois les capacités d’anticipation et d’adaptation du secteur

Un exercice pas si nouveau :
le cas Second Life

En 2022, le sujet des Métavers passionne et fait beaucoup parler. De nombreux adeptes explorent ces divers mondes virtuels et y développent leur identité digitale, des institutions, entreprises et autres organisations s’y implantent et en font un point de plus en plus prépondérant de leur stratégie de développement, persuadés qu’un potentiel énorme existe. Beaucoup comme Colin Evran, pionnier du Web 3.0 et à la direction de Protocol Labs, voient le schéma de développement du Web 3.0 comme similaire à celui de la première version d’Internet, celle qui a émergé dans le début des années 1990, décrite à l’époque comme un phénomène de mode mais qui a pourtant révolutionné le Monde. Et quand des groupes aussi puissants que l’anciennement dénommé Facebook, assument leur volonté d’investir massivement dans ces technologies en changeant le nom de leur marque avec Meta, il n’en faut pas plus pour que la presse grand public s’empare du sujet et qu’une quantité impressionnante de papiers sortent au sujet de la nouvelle grande innovation technologique.

 

Le projet pionnier de cette technologie était Second Life, développé par la société Linden Labs à partir de 1999 et ayant vu le jour en 2003. Le jeu se présentait comme un open world virtuel gratuit où les joueurs pouvaient échanger via un chat, accéder à des lieux digitaux dans des serveurs. C’est une reproduction d’une société dans un monde virtuel, on y retrouve des reproductions de villes, des lieux de vie que nous connaissons tous dans la vie physique, et même un système bancaire assez développé. Considéré en 2003 (date de mise en service) comme une révolution sur internet, de nos jours et avec le recul sur ces années, beaucoup voient en Second Life l’ancêtre des plateformes sociales et des réseaux sociaux qui apparaîtront via le Web 2.0, dont Leslie Jamison, autrice et journaliste. 

 

A l’époque, Second Life (à l’origine nommé “Linden World”) émerge suite à un pivot de la société Linden Lab qui n’arrive pas à développer un outil de réalité virtuelle. La conception démarre en 1999 et on constate donc déjà le lien entre réalité virtuelle (VR) et Métavers, 13 ans avant l’annonce de l’Oculus Rift. Cette connexion entre les 2 technologies est d’ailleurs un aspect qui obsède encore aujourd’hui chez Linden Lab : une des limite avancées selon Philip Rosedale, fondateur et dirigeant de LL, sur la vision du Métavers de Mark Zuckerberg est que “ nous ne sommes pas encore technologiquement prêt d'accueillir des objets de réalité virtuelle dans le Métavers en 3D. La technologie n’existe pas encore.”

Second life n’est d’ailleurs pas la première expérience dans le domaine des réseaux sociaux en Open World : la première tentative a été menée par Canal + en 1997. Le projet de la plateforme française prenait la forme d’une reproduction des rues de Paris où l’on pouvait aussi se balader avec un avatar customisable, nommée “Second World”. La plateforme, certainement arrivée trop tôt et peinant à trouver son audience, fermera en 2001. Pour Philip Rosedale, fondateur de Linden Lab, il n’est pas correct de qualifier Second Life de jeu vidéo en ligne car pour lui, la plateforme “n’est pas très attirante pour les personnes jouant au jeux vidéo en ligne”. Ainsi, il existe déjà une volonté de distinction, Linden Lab veut qu’on identifie son projet comme une nouvelle proposition.

 

Le parallèle entre Facebook et Second Life est régulièrement étudié et les deux plateformes représentent une vision pionnière de deux manières d’exister socialement sur les plateformes digitales. D’un côté, le réseau de Linden Lab permet de visiter un nombre d’îles construites par ses utilisateurs, eux-même représentés dans le jeu par des avatars. Ils donnent l’identité qu’ils souhaitent à leurs personnages, leur donnent un style proche de leur personnalité physique ou, au contraire, complètement éloigné. Ils occupent les fonctions qu’ils veulent et interagissent avec les autres joueurs. Ils peuvent même se marier, fêter l’anniversaire de la création de leur avatar (appelé le “rez day”), créer des familles, et bien d’autres actes sociaux intimement liés à la vie “réelle”. Cet adjectif “réel” gêne beaucoup d’utilisateurs, cette seconde identité est une part entière de leur vie et n’est pas moins réelle que leur vie physique.

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Parmi ces projets marquants, l’Île du Dr.Muglerstein de Thierry Mugler était prédit comme un projet déterminant pour redynamiser des mondes virtuels en peine. La suite sera bien différente : crise économique, avènement de Facebook viendront mettre un coup d’arrêt au développement d’un des projets les plus innovants du Web des années 2000 (source graphique : Gartner)
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Capture d'écran d’un article de blog posté le 2 mai 2008 qui, 14 ans plus tard, à de forts airs d’une publication LinkedIn évoquant l’implication des marques dans le Web 3.0
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Un autre article de blog, cette fois publié le 24/08/15, réutilise le cycle d'engouement de Gartner mais met en relation les avancées technologiques de l’industrie plutôt que les opérations des marques pour mesurer le niveau d'engouement.
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Une image de prévention diffusée dans les médias et sur les réseaux sociaux pour lutter contre la pédophilie sur divers jeux en ligne.

Fin 2008 c’est Reuters qui annonce le départ de son bureau présent dans Second Life. A la suite de cette nouvelle, le Guardian écrit “malgré tous ses bugs, Second Life est tolérable en tant que jeu, mais les professionnels ne l'utiliseront pas et ne devraient jamais l’utiliser pour y faire du business. Second life devra donc se réorienter vers l’essentiel : convertir les potentiels joueurs intéressés en résidents qui dépenseront de l’argent.”

 

L’image du réseau est aussi impactée par un autre phénomène : les arnaques en ligne. Celles-ci prenaient la forme de jeux de hasard pilotés par des banques privées virtuelles créées par d’autres joueurs où les résultats étaient trafiqués et les gains des joueurs parfois non reversés. Ce phénomène émerge sur la plateforme peu avant 2008, et des utilisateurs se voient perdre de l’argent à cause de ces pratiques qui vendent du rêve aux joueurs . En effet, ces banques promettaient des taux de rendement annuel entre 20-40% grâce à leurs méthodes frauduleuses. A l’époque, aucune régulation n’était mise en place et des banques privées comme Ginko ont généré jusqu’à 200M de Linden$, soit 750k USD à l’époque. Il s’agissait aussi dans de nombreux de cas de structures en Ponzi, un grand classique encore récurrent de nos jours et qui participe à la mauvaise image et au scepticisme autour des projets NFTs.

Face à ces pratiques, Second Life a dû s’adapter et bannir les jeux de hasard, pour des sociétés in-game comme Ginko qui s'appuyait exclusivement sur ce type de revenus, cela voulait dire l’écroulement de leur système pyramidal, et donc la crise. Les utilisateurs s’étant rués aux guichets comme dans la vraie vie pour retirer leur argent, les banques privées devaient interdire les retraits, puis s’en suivaient la faillite assurée. Suite à ça, Second Life a tout simplement mis fin au système de banques privées dans le jeu, jugé trop complexe à contrôler. Obtenir des Linden dollars devient alors possible uniquement via la banque du jeu gérée par Linden Lab. Ce premier scandale a forcé Linden Lab à s’entourer de vrais experts financiers pour pouvoir réguler leur monnaie virtuelle et faire en sorte d’éviter les grosses crises. 

 

Cette image dégradée impacte la popularité de la plateforme dans les mois / années qui suivent : la hype redescend, Second Life perd des utilisateurs et seuls les habitués restent. C'est ce moment que Google choisit pour essayer de s’engouffrer dans la brèche et lance Google Lively, une copie de Second Life sans grande ambition, sans innovation qui viendrait convaincre les anciens joueurs de ce pionnier des Métavers de se ré-intéresser à ce phénomène. Google Lively fermera seulement au bout de 6 mois. Même quand des géants des GAFAM, déjà très importants à cette époque, tentent de récupérer les fidèles de Second Life, cela ne fonctionne pas et les utilisateurs veulent tourner la page d’un monde et d’une identité virtuelle vers quelque chose qui leur ressemble plus.

 

C’est ce qui va profiter à un des nouveaux réseaux sociaux comme Facebook, qui émerge dans la deuxième moitié des années 2000 et prend un angle bien différent des relations sociales en ligne. Facebook cherche à représenter de la manière la plus fidèle possible la vraie vie de ses utilisateurs, en les encourageant par exemple à s’inscrire avec leur vraie identité, à ajouter une photo de profil de soi-même, à se servir de la plateforme comme d’un agenda (avec les événements), à mettre en avant les centre d’intérêts des utilisateurs et bien plus… Facebook délaisse aussi la notion de communication en direct : pas besoin d’être connecté en même temps pour partager une publication à quelqu’un : elle apparaîtra dans le fil d’actualité d’une personne une fois qu’elle se connectera. C’est ce modèle là qui va perdurer au détriment de Second Life : plus en accord avec ce que recherche le marché, pouvoir partager sa vraie vie à ses proches, interagir avec des personnes plus facilement, développer une appartenance de manière plus pratique… Le modèle de Facebook va influencer tous les réseaux sociaux du Web 2.0, non seulement par ses fonctionnalités mais aussi par son modèle économique, reconnu comme bien plus viable que celui mis en place par Linden Lab. Encore aujourd’hui, Facebook Ads est essentiel dans le e-commerce aussi bien pour les petites et grandes entreprises, et même si d’autres plateformes gagnent du terrain sur la publicité en ligne comme TikTok ou Pinterest, Facebook Ads est incontournable et embarque un des plus puissants algorithmes de ciblage marketing accessible au grand public.

 

Facebook et les autres réseaux sociaux se sont aussi démarqués par une utilisation très simple et très abordable toutes générations confondues, si la plateforme de Mark Zuckerberg compte près de 3 milliards d’utilisateurs actifs par mois, c’est parce que toutes les générations et les peuples de tous les continents sont représentés dessus. Avec son UX et UI épurées et une facilité à se créer un compte et le choix du format site / application mobile, aucun doute que Facebook se veut plus grand public qu’un jeu qu’il faut télécharger, où la prise en main peut-être complexe et l’expérience est gamifiée au point d’en être perturbant pour une génération n’ayant pas ou peu connu le jeu vidéo. Finalement, la vraie concurrence menaçante de Second Life ne sera pas issue d’autres Métavers comme Habbo ou Club Penguin mais viendra plutôt du côté des réseaux sociaux façon Web 2.0. 

 

Facebook est construit comme un crossover entre MSN (via l’acquisition de Messenger en 2011) et Second Life, mais avec une plateforme plus réaliste et bien plus évidente pour rester en contact avec ses proches. A l’époque, où les internautes se tournaient vers plus d’authenticité et de réalisme, non plus vers le gamifier (ce rapport a peut-être été inversé depuis…). La plupart des utilisateurs du Web voyaient en Facebook le moyen le plus pratique de rester en contact avec ses proches et suivre leurs actualités : études, mariages, enfants… Toute une vie privée est exposée sur cette plateforme et jusqu’au milieu des années 2010, la grande majorité des utilisateurs jouaient le jeu.

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Croissance exponentielle de Facebook à partir de mi-2008 jusqu'en début 2011, stabilisation entre début 2011 et septembre 2012, puis énorme pic sur le Q4 de 2012 (passage de 78 de quotient d'intérêt en septembre 2012 à 95 en octobre pour finir à 100 en novembre)
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Intérêt maximal pour Second Life début 2007, précédé d'une montée en flèche impressionnante, puis chute extrêmement rapide entre mi-2007 jusqu'à fin 2008 (résultats des multiples crises)

Naturellement, les marques saisissent l’opportunité de développer leur image et de la rajeunir. Elles s’assurent une présence et cherchent à être à tout prix sur la plateforme, cependant peu d’entre elles apportent une vraie valeur ajoutée digitale. Toyota par exemple a reproduit un de ses modèles dans le jeu, là où d’autres sociétés tentaient déjà de jouer sur l’omnicanalité. Dell vendait des ordinateurs physiques à acheter depuis la plateforme. Des marques comme : Crédit Agricole, Renault, AOL, Google, Microsoft, American Apparel, BMW, Sony Ericsson, Coca-Cola, Caisse d’Epargne, L’Oréal, Nesquik… Parmis ces marques qui avaient fait le choix de s’installer dans Second Life, certaines abordent à nouveau dans leur stratégie la question du Métavers, certaines s’y investissent pleinement comme Adidas, qui a déjà lancé des collections complètes de NFTs, des collaborations digitales et compte investir de plus en plus dans le secteur du Web3.

 

Du côté des finances, tous les indicateurs sont aux verts pour Linden Lab et les chiffres sont impressionnants pour un produit pure player internet de l’époque. En 2006, Linden Lab est valorisée à 143,25 millions de dollars. En 2007, les estimations explosent et la société est valorisée entre 500M$ et 1Md$. La même année, Gartner (cabinet de conseil spécialisé en numérique) affirme que d’ici 2011, 80% des internautes et des entreprises du Fortune 500 seraient présents dans un monde virtuel. Le parallèle entre l’engouement sur le Métavers 15 ans après est saisissant.

Les possibilités de construction sur Second Life étaient immenses, à tel point que presque tout a été fait. Il existait aussi des constructions supervisées par des entités du monde physique reconnues et qui cherchaient à s’implanter officiellement sur la plateforme, à la manière des pages d’entreprises sur les réseaux sociaux aujourd’hui. C’est le cas de certaines écoles comme Stanford, qui donnaient des cours notamment pour devenir aide soignant sur la plateforme. On pouvait y trouver également de l’événementiel, de l’art (déjà !) mais aussi beaucoup, beaucoup de sexualité, à tel point que le jeu n’est pas diffusable sur les plateformes de stream comme Twitch et cette omniprésence empêche une adoption grand public de cette plateforme.

Beaucoup de gens se sont constitués une véritable seconde identité, en y trouvant une nouvelle manière de s’exprimer, pour eux rien n’est impossible dans cet univers. Second Life a aidé les personnes réservées et introverties, les personnes en situation de handicap, les individus marginalisés, ou tout simplement des humains cherchant à se couper du monde réel le temps de quelques heures par semaine voire par jour.

 

Les utilisateurs peuvent donc créer des objets, spéculer sur d’autres, offrir des services en échange de Linden Dollars qu’ils peuvent échanger en monnaie du monde sensible. Il était estimé que le flux monétaire généré via les échanges de Linden$ en Dollars US atteindrait 450MUSD en 2009, soit plus que ce que générait Linden Lab dans leurs meilleures années, alors qu’en 2006 les transactions entre joueurs au sein du jeu représentaient un volume d’1,5M£.

 

Les marques n’ont pas mis très longtemps à comprendre que derrière l’engouement général, un nouveau canal à potentiel s’était créé, de nouvelles opportunités étaient à saisir. Beaucoup d’entre elles vont investir des moyens dans le jeu pour affirmer leur présence, gagner en visibilité et toucher une cible des 15-35 ans. Elles n’hésitaient pas à acheter du terrain virtuel, type des îles, en utilisant la monnaie virtuelle du jeu (le linden dollar). C’est sensiblement la même stratégie qu’elles utilisent en 2022 dans des structures comme Decentraland, The Sandbox, etc… La frénésie actuelle autour des terrains décentralisés du Web3 en est au même stade en mai 2022 qu’en début 2007 sur Second Life.

 

L'Âge d’or de Second Life ne sera pas celui d’un petit épiphénomène, mais bien d’une plateforme se faisant une place de choix dans la pop culture : on en parle dans les JT, les talks-shows, des références dans des séries cultes comme The Office : Second Life fait parler et est clivant, beaucoup de blogs de technologies couvrent l’actualité du jeu. En 2006, le jeu compte 3 000 nouveaux membres inscrits par jour, et est vu comme un concurrent sérieux de MySpace. Alors que l’on communique principalement sur MSN et que Facebook ouvre à peine son site, Second Life est considéré comme le successeur du Web1, le meilleur portail vers un Web plus interactif, où les acteurs ont la possibilité de créer et de publier leur contenu plus facilement, et où une communauté de fans peut se développer et réagir à ses contenus. Philip Rosedale défendait cette idée : “La dernière grande idée, c’est qu’il est pratiquement certain que quoi que tout cela devienne, ça va dépasser le Web lui-même en terme d’utilisation totale”. De plus, l’âge moyen de 32 ans et les statistiques sur le nombre de joueuses (43% de la démographie totale) montre que Second Life n’est pas un jeu vidéo classique destiné à la population de gamer habituelle sur le marché. Au prime de Second Life, ce sont près de 40 000 joueurs simultanés. A la même époque, un des jeux les plus populaires des années 2000 , Counter Strike était à 80k.

Linden Lab ressent également le potentiel commercial de son produit et décide d’en tirer parti. L’entreprise gère les propositions commerciales et a engagé l’équipe PR Lewis en tant qu’agence de référence pour rédiger des articles sur la plateforme qui seront publiés dans plusieurs médias. Cela va porter ses fruits et contribuer au buzz de Second Life dans la 2ème partie des années 2000. Parmi ces publications, Anshe Chung fera la couverture de Business Week, une revue d’affaires reconnue qui suscitera beaucoup d’intérêts d’une cible plus professionnelle. 

 

Comme elle, des utilisateurs se sont servis de Second Life pour occuper une profession ou se faire connaître du grand public comme Patrick Moya, artiste physique dans le monde “sensible” qui a créé quatre îles dans Second Life et les alimentent en contenu artistique depuis des années. Il a par exemple entièrement reproduit son atelier à Monaco. Il organise le cyber carnaval avec des défilés de mode de couturiers de Second Life. Son rêve: avoir la possibilité de continuer de travailler lorsqu’il se repose, il pense que c’est envisageable grâce à la technologie Google, qui d’ici 2045 souhaite conserver le cerveau dans l’ordinateur. Lui, ne cherche pas nécessairement à vendre ses œuvres digitales mais il a eu des collectionneurs qui sont venus lui faire des offres.

Quand on parle de succès et de notoriété enclenchés par Second Life, il est impossible de ne pas revenir plus en détail sur Anshe Chung : devenue la première millionnaire d’une richesse issue d’un monde virtuel (en vrai $US). Elle a fait beaucoup de choses dont de la création de vêtements virtuels, de l’escorting, de l’entertainment mais a surtout explosé dans l’immobilier virtuel. A son apogée, elle a été à la tête d’un empire de 80 employés, sur 550 serveurs différents.

 

Comment de telles réussites sont-elles possibles ? Grâce au système de monnaie virtuelle présent sur la plateforme, appelé le Linden dollar. Cette monnaie ressemble en tout point à une monnaie que nous connaissons dans le monde physique : on peut acheter des biens et des services virtuels, elle est soumise à la fluctuation des marchés et on peut l’échanger contre d’autres monnaies.

La croissance de Linden Lab est boostée par la professionnalisation grandissante de la plateforme à partir de la deuxième moitié des années 2000. Second Life devient non seulement le terrain de jeu de sa fanbase originelle et des marques, mais aussi par des institutions, la reconnaissant comme un canal de communication légitime. On verra même apparaître la classe politique française à l’occasion des élections de 2007. Ainsi les 2 candidats au second tour possèdent leur île où ils organisent des meetings, à noter que Jean Lassalle était aussi présent sur le jeu à l’occasion du premier tour.

Les médias qui commençaient déjà à couvrir le phénomène ont cherché, par la suite, à investir des moyens dans la plateforme. C’est le cas de Reuters (équivalent AFP en France), qui décide, par exemple, d’affecter des journalistes à plein temps sur Second Life afin de couvrir l’actualité de la plateforme et interviewer des personnalités sur le jeu. 

Cependant, à partir de 2008/2009, le public est beaucoup moins enthousiaste sur le potentiel de Second Life : la progression du nombre d’utilisateurs à cette période est de 5% alors qu’elle frôlait les 50% en 2006. La chute qui va s’enchaîner va être brutale. Dans la presse, les visions changent : le jeu est trop compliqué, trop vaste, trop vide. Certaines marques décident de rendre leur départ officiel suite à deux crises : la crise virtuelle de Second Life et la crise financière violente de 2008. Second Life subit aussi les rumeurs de présence de pédophilie, violence sexuelle, harcèlement, raccolage virtuel, etc… Ces accusations viennent dégrader l’image de la plateforme, notamment sur l’enjeu de création de lien social que Linden Lab cherche tant à mettre en avant. Sur cet aspect également, Second Life semble précurseur des autres réseaux sociaux, qui subissent encore de nos jours les mêmes menaces qu’elles doivent aussi modérer. Certaines de ses plateformes sont aussi très sujettes au piratage et à l’hypersexualisation, on peut penser à Instagram où de nombreux utilisateurs dénoncent des messages connotés envoyés par des robots dans le but de faire du phishing et aussi Tumblr qui avait tapé du poing sur la table en bannissant les contenus érotiques de leur réseau. Cette mesure avait d’ailleurs causé plus de tort que de bien à la société : si Tumblr avait été vendu pour 1.1Md d’USD en 2013, la plateforme a été revendue seulement 3 millions d’USD en 2019.

“Le nombre d’utilisateurs de Second Life a atteint son pic juste au moment où Facebook a commencé son explosion. La montée en flèche de Facebook n’était pas un problème d’une marque concurrente mais plutôt d’un modèle concurrent : il semble que les gens souhaitaient une version soignée de leur vraie vie plutôt qu’une toute autre existence en ligne - il semble qu’ils souhaitaient avoir la photo de profil la plus flatteuse possible plutôt qu’un avatar complètement différent. Mais peut-être que l’attrait pour Facebook et Second Life s’explique de manière assez similaire. Les deux trouvent de l’adhérence dans le charme de pouvoir choisir ce que l’on est, soit à base d’images et d’expériences vécues (des photos de camping et des observations futiles sur les brunchs) soit à base d’éléments qu’une expérience sensible exclut : un corps, une romance et une maison idéale.” - Leslie Jamison dans The Atlantic, en décembre 2017.

 

Linden Lab n’aura pas su rivaliser face aux Facebook et Twitter mais était précurseur quant à la création et au maintien de liens sociaux à travers internet, bien avant le Web2. Finalement, la plateforme qui se voulait un moyen simple de garder contact s’est complexifiée avec le temps à son désavantage.

 

En 2010, les causes de ce modèle obsolète se ressentent au sein de Linden Lab : la société se sépare de la moitié de ses employés et Rosedale cède sa place de CEO (qu’il reprendra avec le retour de la hype du Métavers, on le rappelle). Pendant cette période, il a créé un Second Life en VR : High Fidelity. C’est grâce au créneau de la réalité virtuelle que P.Rosedale pense que Second Life peut se différencier et exister face à la concurrence. Cependant c’est une technologie encore très difficile à apprivoiser avec beaucoup de limites pour son utilisation et pour un déploiement vers un plus large public. Nous avons interviewé Frédéric Lefret d’Immersive Talents Agency, une agence de conseil en stratégie marketing dédiée aux espaces immersifs. Au sujet des Métavers en réalité virtuelle, il nous a confié : “Dans le cas des Métavers immersifs nécessitant un casque de réalité virtuelle, l’accessibilité à grande échelle est plus complexe d’un point de vue économique et technologique : il faut savoir qu’un bon casque de VR coûte près de 430€ alors qu’il est déconseillé de le porter plus de 20 à 30 minutes pour des raisons de santé (nausées, troubles de la vision…) en plus d’être des objets lourds et encombrants"

 

Second Life connaîtra une deuxième vague de perte de membres actifs à partir de 2014 quand Linden Lab annonce la fermeture de la plateforme Teen Second Life, la version de Second Life destinée aux adolescents. P.Rosedale annonce qu’après 9 années d’existence de la plateforme, les comptes de +16 ans seront re-basculés vers le jeu principal Second Life, et les - de 16 ans verront leurs comptes supprimés. La plateforme est rendue complètement inaccessible à partir du 31 décembre 2014. Cette fermeture a évidemment causé une vague de licenciement de la plupart de l’équipe Teen Second Life, et les jeunes utilisateurs se sont orientés vers d’autres plateformes. Dans les années 2010, ce ne sont pas les jeux Open World communautaires qui manquent dans le paysage gaming. Pour les nostalgiques de cette épopée, le parallèle est vite établi entre des Open World à la culture multijoueurs / jeu de rôle comme Minecraft, Fortnite, Roblox, GTA 5, etc… et l’expérience en ligne de Second Life. C’est ce type de jeu où la communauté fait tout et où elle construit autant voire plus que les développeurs eux-même. 

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Tim Sweeney (CEO d’Epic Games, studio à l’origine de Fortnite) expliquait dès fin 2019 sur Twitter la volonté de faire passer Fortnite d’un jeu à une plateforme.

Mais à quoi ressemblent les Métavers ayant suivi Second Life et comment les marques investissent dans ceux-ci ?

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