Des acteurs du luxe qui pourraient paraître frileux à l’idée de sortir de leur zone de confort après une période complexe
Les conséquences stratégiques de plusieurs
transformations de marché
Les maisons de luxe représentent aujourd’hui une telle puissance économique que nous pouvons les comparer aux GAFAM du luxe : LVMH, Kering, L’Oréal Luxe, Hermès, Chanel, ses grands groupes et maisons rayonnent à travers le monde entier. Près d’1 produit de luxe sur 2 est français, cela démontre une certaine force de notre pays, que de promouvoir à travers ce secteur, les codes symboliques de la réussite sociale. Le luxe est un art de vivre, une culture, une identité française qui ne cesse d’évoluer en alliant héritage et innovation. Mais le secteur est aussi précurseur et conservateur du savoir-faire qu’il faut réussir à pérenniser. Ce sont près de 200 000 emplois de hautes qualifications, qui sans eux, le luxe n’existerait pas : artisans de haut niveau, techniciens et managers d’excellence… Ce secteur pérenne a fait ses preuves et sa viabilité économique a permis à la France de compenser le déficit énergétique par son excédent commercial.
Mais face à de nouveaux enjeux, le secteur du luxe doit prendre en considération les évolutions de la demande client. Entre révolution numérique, demande de nouvelles expériences et d’innovations produits, la montée de nouveaux riches et le développement durable, il est impératif de réfléchir à une vraie stratégie correspondant à notre nouveau monde. La demande d’objets de luxe et de luxe abordable évolue rapidement, ce n’est plus un simple produit que l’on vient chercher mais un service associé, une personnalisation, une expérience voire une émotion que les nouveaux acheteurs recherchent chez les plus grandes maisons. L’instrument indispensable pour répondre à leur demande est le smartphone car les outils numériques révolutionnent le parcours et l’expérience client. Il faut porter une grande importance à l’information et à l’achat en ligne car le e-commerce représentera 25% des ventes du luxe en 2025, selon le cabinet Bain.
Les grands acteurs du luxe sont vus comme des porte-drapeaux des changements profonds, ce sont eux qui doivent montrer l’exemple, notamment en termes de développement durable mais aussi sur le plan digital. Il y a donc un choix à faire entre refuser de voir les tendances de fond et risquer d’être stoppé net comme la maison Sonia Rykiel, ou bien modifier ses comportements pour se pérenniser au sein d’un cycle qui ne cesse de s'accélérer comme a pu le faire Hermès ses dernières années. Selon Levitt, le meilleur moyen d’anticiper l’avenir est bien sûr de le créer, et les grands acteurs du luxe en ont les moyens, que cela soit grâce à leur forte capacité à investir ou bien grâce à leur créativité qui les pousse à innover.
En 2019, Yves Hanania, fondateur du cabinet de conseil Lighthouse, auteur mais aussi Professeur de Marketing du Luxe à ISB, a décrit dans son ouvrage “Le Luxe de demain”, les enjeux et le visage du luxe du futur, et cela, juste avant le COVID-19. Les points à retenir sont les suivants :
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Le luxe doit être responsable et engagé, il doit se montrer exemplaire sur le thème du développement durable et doit prendre des engagements sincères sur des sujets sociaux et environnementaux. C’est une vraie demande du consommateur liée à des enjeux plus globaux mais où le secteur du luxe se doit d'être le porte-drapeau.
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Le consommateur est avide d’exclusivité, d’ultra-personnalisation et de collab’ toujours plus limitées. Les grands acteurs l’ont compris, mais ils devront pousser leurs idées encore plus loin.
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Ne pas oublier d’inclure de nouvelles normes culturelles sur toute la chaîne de valeur en travaillant avec une plus grande inclusivité, en effet, les consommateurs ne sont plus seulement les occidentaux, c’est pourquoi, il faut savoir adapter son discours à de nouvelles populations.
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Faciliter l’omnicanalité en adaptant le parcours client selon sa personnalité, et travailler sur l’entrée du consommateur par n’importe quel point.
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Faire vivre une expérience unique et individuelle, faire retranscrire une émotion, tout est là, le cœur de l’enjeu.
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Enfin, les consommateurs de demain seront les acteurs des expériences mais aussi les auteurs. Un système participatif sera mis en place afin de créer plus d’engagement et d’avoir le luxe du choix.
Il est intéressant de constater que la majorité de ses traits rejoignent pour solution le Métavers. En effet, le Métavers répond aux enjeux de demain, sans oublier qu’il n’est pas un substitut à ce qui existe actuellement mais une complémentarité dans la stratégie d’omnicanalité des maisons de luxe.
La crise du COVID-19 est venue accélérer les usages du numérique et la prise de conscience de l’urgence climatique. Elle a aussi ouvert pour le luxe un champ de réflexion et d’expérimentation très important. Une telle crise représente « un moment où l’on renouvelle son regard sur le monde : elle questionne nos désirs et nous fait prendre conscience de nos ressources et de nos capacités à partir de ce que l’on est », relève Flora Bernard, cofondatrice de l’agence de philosophie Thaé. Il est venu le temps pour le luxe de se réinventer et pour se faire les grands acteurs doivent créer des imaginaires inspirants, des liens privilégiés avec les clients et des récits enthousiasmants afin de rendre désirables les changements à venir.
En mars 2020, lorsque la France entière a connu la fermeture de ses boutiques, ce sont les écrans de nos smartphones qui sont venus remplacer les vitrines. Le e-commerce a connu une forte croissance, obligeant certains acteurs à investir sur ce canal comme par exemple Printemps, qui pendant longtemps n’avait qu’un site informatif, a dû développer sa plateforme de e-commerce. Au final, la relation client connaît une métamorphose sans précédent. Les conseillers de vente ont le premier rôle dans cette réinvention. C’est à eux qu’est revenue la mission de renforcer le lien entre les marques et leurs clientèles locales pendant les confinements. Ils ont été grandement accompagnés par les outils digitaux et les données clients car comme l’a expliqué Michael Burke, PDG de Louis Vuitton : « Nous sommes entrés dans la crise avec 450 magasins, nous en sommes sortis avec 10 000 magasins en responsabilisant chaque vendeur lorsqu’il était coincé chez lui, grâce à un logiciel écrit en dix jours qui a permis à chacun non seulement d’interagir avec les clients, mais aussi de conclure la transaction. » La pandémie aura donc fait évoluer le métier de vendeur mais aussi les pratiques de recrutement et de formation.
Le COVID a donc apporté plusieurs bouleversements :
Comme évoqué précédemment, internet est entré dans les habitudes d’achat, nous avons pu le constater avec une forte évolution de la part de marché de ce canal. Il est donc indispensable pour les acteurs du luxe de s’y investir et de développer une réelle stratégie impactante. De plus, le temps passé sur les réseaux sociaux à relativement augmenté durant le confinement. Concernant les internautes de 15-24 ans, c’est 4 points de % en plus pour les applications Snapchat, Instagram, plus de 9 points de % pour Discord et 27 points de % en plus pour l’application Tik Tok. Les jeunes se sont donc plus impliqués sur les réseaux sociaux durant le confinement, ce qui renforce le digital dans le parcours client.
La période de pandémie a aussi accentué les attentes RSE des consommateurs, ces moments suspendus dans le temps ont permis aux différentes générations de se poser les bonnes questions, de faire un point sur leurs valeurs et sur leurs besoins. Il en est découlé une certaine tension au pouvoir d’achat favorable aux nouveaux modes de consommation tels que la seconde main, la location ou l’upcycling.
Enfin, la crise sanitaire a été aussi une opportunité pour les entreprises de mettre en lumière leur rôle social et sociétal, comme l’engouement qu’il y a eu en début de confinement de la part des acteurs des cosmétiques en mettant à disposition leur fabrication de gels hydro-alcooliques aux hôpitaux.
Mais bien que le COVID ne soit pas l’initiateur de ses tendances, cette période de pandémie a été le catalyseur de tous ses bouleversements. Il est vrai que ses dernières années de nouvelles clientèles ont émergé (Gen Z, Millennials, Digital natives, Henrys…) avec de nouvelles attentes et des comportements d’achat bien différents des générations passées. En effet, ces nouvelles générations, hyper branchées et ayant une capacité d’achat plus importante, sont à la recherche d’expériences, d’émotions et d’exclusivité.
Pour un peu plus de clarté, voici les différentes générations de consommateurs :
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Les baby-boomers, nés entre 1946 & 1965 soit âgés en 2022 entre 76 & 57 ans.
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La génération Y, nés entre 1965 & 1980, soit ayant en 2022 entre 57 & 42 ans.
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La génération Y ou “millenials”, nés entre 1980 & 1997, soit ayant en 2022 entre 42 ans & 25 ans.
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La génération Z désigne les jeunes nés à partir de 1998, donc de 24 ans ou moins en 2022.
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La génération Alpha rassemble les enfants nés entre 2010 & 2025 et ayant donc été confrontés au numérique depuis leur naissance. Cette génération représente près d’1 personne sur 7 dans le monde.
En 2018, les baby-boomers ainsi que la génération X représentaient plus de la moitié des clients du luxe ainsi que les deux-tiers du total des dépenses. En 2025, elles ne pèseront plus que 45% des achats de produits de luxe. “Les millennials représentent aujourd’hui 60% de notre clientèle et, en Chine, 25% sont issus de la génération Z” reconnaît Arnaud Carrez, vice-président senior et directeur marketing et communication de Cartier International, dans l’ouvrage d’Yves Hanania “Le Luxe contre-attaque”. Malgré une hausse de ce type de clientèle dans l’acquisition de produits de luxe personnels, passant entre 2016 & 2018, de 41 à 47%, le panier moyen peine à augmenter en évoluant seulement de 5 points. La cause est simple, le pouvoir d’achat est proportionnellement inférieur à celui des générations antérieures. Pour se faire, les marques devront réussir à fidéliser ses nouvelles générations afin que ses dépenses augmentent au fur et à mesure de l’augmentation de ses revenus. Une autre explication est aussi plausible concernant les achats d’articles de luxe accessible type les accessoires, les chaussures au détriment de l’horlogerie et de la haute-joaillerie. Les marques ont donc mis en place une stratégie de diversification en créant des sous-marques plus abordables répondant aux besoins des millenials et de la Gen Z.
Ces nouvelles générations montrent l’exemple aux générations précédentes en termes d’exigences et d’habitudes de consommation, elles inaugurent des évolutions capitales dans le comportement d’achat notamment par leurs penchants pour les technologies, l’innovation ou bien la créativité et attendent une personnalisation et des expériences physiques fortes.
Un autre segment à conquérir : les Henrys, autrement dit les High Earners Not Rich Yet, terme inventé par Shawn Tully en 2003 dans un article paru dans le magazine Fortune. Les Henrys ont des revenus entre 100 000 et 250 000 dollars par an, sont accros à l’e-commerce et à l’expérientielle. Leurs exigences vis-à-vis des marques sont très hautes en matière d’éthique et de développement durable. Selon une étude de Deloitte, il devrait très rapidement constituer le groupe démographique le plus riche du monde, c’est pourquoi les marques de luxe capitalisent en cultivant leur appréciation de l’authenticité, de l’artisanat et du patrimoine. En effet, pour cette génération ultra-connectée, cherchant à allier luxe et nouvelles technologies, l’objet est certes important pour son marqueur social mais les conditions de sa production sont devenues un critère important d’achat. Selon une étude de Mazars, “ les acteurs du luxe qui ont compris le désir de consommation durable de leurs clients sont ceux qui ont le plus grand potentiel de croissance”.
La Gen Z chinoise est un moteur important du nouveau luxe normal, achetant sur les réseaux sociaux via le live shopping, les trends TikTok ou encore les KOL. C’est une cible très importante puisque les consommateurs aisés en Chine représentent 80% des millenials et de la Gen Z, cependant cette génération est frivole et n’a donc aucune loyauté de longue date envers les marques.
Il est donc important de prendre en compte l’évolution de la demande et la typologie de nouveaux clients de luxe afin de pouvoir répondre rapidement à leurs exigences et espérer de la croissance.
La place du digital est de plus en plus importante car elle rentre dans le quotidien de cette nouvelle clientèle au travers des réseaux sociaux, des plateformes de e-commerce ou même des jeux vidéos. Le digital est aussi un moyen de rassembler les personnes ayant les mêmes centres d’intérêt, ces communautés sont très engagées sur les différents canaux digitaux et attendent au tournant les maisons de luxe. C’est pourquoi les acteurs du secteur ont dû changer leur stratégie product-centric en modèle consumer-centric. Toute la chaîne de valeur a donc dû être recomposée autour du client, en créant des expériences qualitatives qui vont nourrir les besoins et les envies des consommateurs de produits et de services de luxe. La priorité est donc d’écouter la voix du client. Pour se faire, il est important d’investir dans un système CRM performant afin de connaître au mieux son client, permettant de satisfaire et de fidéliser sur la durée. Par exemple, en boutique, le digital permet d’augmenter le vendeur car il dispose à portée de main, grâce à une application, d’informations en temps réel sur le client afin de le recevoir de façon plus personnalisée. Il accède alors aux données du client, à son historique d’achat en ligne et/ou en boutique, aux campagnes auxquelles il a été sensibilisé, ce qui augmente son efficacité auprès du client. Enfin, même si le luxe durable existe depuis longtemps au sein de certaines entreprises, la crise sanitaire a permis aux marques de multiplier leurs actions telle que la Maison Hermès en promouvant une série de films relatant son empreinte sur le monde au travers de différents témoignages (clients, artisans...).
Le secteur du streetwear a développé un système de lancement de collection, appelé “drop”, qui pourrait correspondre aux nouveaux enjeux du luxe. Un drop est une annonce d’un lancement d’une collection capsule en très petite quantité. Ce système cultive la dimension communautaire, les clients se rassemblent et forment une fanbase. De nombreux acteurs du streetwear ont adopté ce système venant tout droit du Japon : Bathing ape, Suprême, Palace…allant jusqu’à collaborer avec les marques de luxe afin de gagner en valeur et en exclusivité. Un sentiment d’urgence se crée à l’annonce du drop car la quantité limitée permet aux acheteurs d’acquérir une certaine exclusivité. Les drops sont souvent des produits porteurs d’image, très populaires auprès des jeunes générations mais qui séduisent aussi les Key Opinion Leader, soit les influenceurs, ambassadeurs de ces nouveaux produits. Cela représente un avantage pour les maisons de luxe, car ce système permet d’être à l’écoute des clients et de produire presque à la demande. Une démarche éco-responsable est donc en partie mise en place. En parallèle, le drop est aussi un moyen de tester de nouvelles offres tout en limitant les risques grâce à l’effet one-shot et la très faible quantité de produits. La dimension expérientielle est aussi très mise en avant grâce à tout l’engouement créé autour du lancement, que cela soit au travers des réseaux sociaux ou de divers canaux de communication. Cela permet de créer un lien beaucoup plus engageant entre le client et la marque. Ce système répond en partie aux nouveaux enjeux du secteur du luxe. Cependant, les acteurs des grandes maisons doivent voir plus loin, elles ont connu beaucoup de mutation, de transformation en profondeur, et l’heure est donc à l’action. Pour embrasser le futur, plutôt que le subir, il faut agir. C’est pourquoi, depuis fin 2021, un nouveau terrain de jeux s’est ouvert au monde du luxe, un espace nouveau, mouvant, incertain mais remplis de belles opportunités qu’il va falloir apprendre à appréhender sans se précipiter : le Métavers.